Complications des Ig monoclonales

Qu’il y ait ou non prolifération lymphoïde avérée, il faut rechercher d’éventuelles complications liées à la protéine monoclonale elle-même. Ces manifestations d’ «aval» peuvent être la conséquence d’un taux élevé de l’Ig monoclonale, de propriétés physico-chimiques particulières ou d’une activité auto-anticorps.

Hyperviscosité, troubles de l’hémostase et fausse anémie par hémodilution

Une Ig monoclonale circulante peut entraîner une hyperviscosité, une hypervolémie et des anomalies de l’hémostase. Ces perturbations dépendent du taux de l’Ig (en pratique plus de 30g/l) et de sa taille. Elles compliquent surtout les IgM monoclonales, 5 fois plus volumineuses que les autres, mais peuvent également s’observer avec des IgA et certaines IgG qui ont une tendance spontanée à s’agréger entre elles.


Imagerie par résonnance magnétique (IRM) du rachis d’un malade ayant un myélome avec tassement vertébral

Les manifestations de ce syndrome « des grosses molécules », en particulier le ralentissement cérébral entraîné une hyperviscosité sanguine, peuvent imposer de diminuer rapidement le taux sérique de l’Ig monoclonale. Ceci peut être obtenu par des échanges plasmatiques, parfois indiqués en urgence.

Manifestations rénales. Amylose et maladies des dépôts d’Ig.

La survenue d’une insuffisance rénale est une complication fréquente et redoutée des myélomes et le dosage de la créatininémie est un examen essentiel au diagnostic et à la surveillance des malades. La cause principale est la précipitation intra-tubulaire de chaînes légères. Le risque rénal dépend du taux des chaînes légères présentes dans les urines et, également, de leur capacité intrinsèque à précipiter. Il est favorisé par une réduction du débit urinaire et par l’excrétion d’urines acides. Pour le prévenir, il est essentiel d’éviter toute déshydratation, en maintenant en toutes circonstances un apport hydrique correct, de préférence alcalin. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens, trop souvent prescrits en raison des douleurs osseuses, et les examens radiologiques avec injection d’un produit de contraste iodé, scanner inclus, peuvent jouer un rôle déclenchant ou aggravant. Sauf cas particulier, ils sont contre-indiqués dès qu’existe une excrétion notable de chaînes légères urinaires.

Les complications rénales des Ig monoclonales ne se résument pas à l’obstruction des tubules rénaux. L’atteinte des glomérules, évoquée devant une protéinurie faite non plus de chaînes légères mais principalement d’albumine éventuellement associée à une hypo-albuminémie et à des oedèmes (syndrome néphrotique), doit faire rechercher des dépôts d’Ig. Les principaux ont la structure organisée en fibrilles des différentes amyloses dont l’amylose immunoglobulinique (ou amylose AL) est la forme la plus fréquente. Plus rarement, les dépôts, non organisés et granuleux, se situent le long des membranes basales, glomérulaires et surtout tubulaires, définissant la maladie des dépôts d’Ig ou maladie de Randall. Dans les deux cas, les dépôts ne concernent pas uniquement les reins et de très nombreux symptômes extra-rénaux (syndrome du canal carpien, macroglossie, hépatomégalie, signes cutanés divers ..) peuvent les révéler et/ou prendre une importance pronostique déterminante (manifestations cardiaques). Des biopsies simples, cutanées, de la graisse abdominale ou des gencives, doivent les rechercher avant d’envisager un examen histologique des reins (ou du foie) qui devra comporter les colorations spécifiques des amyloses (rouge congo) ainsi qu’une étude immuno-histochimique vérifiant la nature AL de l’amylose.

Activité auto-anticorps des Ig monoclonales : cryoglobulinémies mixtes, maladie des agglutinines froides et neuropathie des macroglobulinémies

Les Ig monoclonales, principalement les IgM, peuvent être des auto-anticorps sans, le plus souvent, que cela soit à l’origine de symptômes. Dans certains cas, cependant, l’activité auto-anticorps a des conséquences délétères qui peuvent être dues soit à la formation de complexes antigènes-anticorps (cas des cryoglobulinémies mixtes) soit à un effet nuisible direct de l’auto-anticorps monoclonal, par exemple au niveau des globules rouges (IgM de type agglutinine froide) ou du nerf périphérique (IgM anti-myéline).

Les cryoglobulinémies mixtes résultent de la précipitation au froid de complexes formés d’une IgM monoclonale dite rhumatoïde (i.e. reconnaissant la partie terminale de toutes les IgG) et d’IgG polyclonales. Ces complexes peuvent léser des parois de vaisseaux, en entraînant une vascularite d’expression souvent cutanée (purpura vasculaire). L’infection par le virus de l’hépatite C est une des grandes causes de cryoglobulinémies mixtes.

La maladie des agglutinines froides est liée à la présence d’une IgM monoclonale qui reconnait, surtout lorsque la température diminue, des sucres de la membrane des globules rouges. La maladie se traduit essentiellement par des manifestations d’ischémie des extrémités, liées à l’agglutination des hématies, et par une destruction aiguë intra-vasculaire des globules rouges. Les symptômes, acrocyanose et émission d’urines noires par hémoglobinurie notamment, sont déclenchés ou favorisés par l’exposition au froid. Le test de Coombs direct est constamment positif de type complément et le test indirect décèle un titre souvent élevé d’agglutinines froides. Lors du diagnostic, le taux sérique de l’IgM monoclonale est habituellement faible, inférieur à 5 g/L, et les examens d’ «amont» ne décèlent pas de prolifération lymphoïde. L’évolution est variable mais le traitement préventif, en évitant les expositions au froid et en conseillant une protection optimale des extrémités, est souvent suffisant pour limiter la fréquence et la gravité des crises d’hémolyse.

Une neuropathie périphérique complique environ 5% des IgM monoclonales. Le plus souvent, le tableau est celui d’une polyneuropathie symétrique à prédominance sensitive de survenue insidieuse et d’évolution très lente. Les troubles sensitifs sont distaux et concernent d’abord les membres inférieurs. Une ataxie, un tremblement sont fréquents et évocateurs. L’électromyogramme montre une neuropathie démyélinisante avec dégénérescence axonale secondaire. Ces neuropathies sont fréquemment à l’origine de la découverte d’une IgM monoclonale de faible taux, sans prolifération lymphoïde avérée associée et la recherche d’une IgM monoclonale doit être systématique devant toute neuropathie périphérique.

La majorité des IgM avec neuropathie reconnaissent une glycoprotéine mineure de la myéline, la MAG (pour myelin associated glycoprotein). A coté des IgM anti-myéline, d’autres activités auto-anticorps ont été mises en évidence, en particulier dirigée contre les gangliosides GM1 et asialo-GM1, chez des malades ayant une neuropathie motrice réalisant un tableau proche de celui d’une sclérose latérale amyotrophique. Cette situation est importante à connaître car elle paraît améliorée, beaucoup plus souvent que les autres, par la réalisation de perfusions d’Ig intraveineuses.

En dehors des cryoglobulinémies de type II, de la maladie des agglutinines froides et des neuropathies avec IgM monoclonales, d’autres situations peuvent témoigner de complications liées à une Ig monoclonale, du fait d’une activité auto-anticorps pathogène (anti-VIII ou dirigée contre d’autres facteurs de la coagulation, anti-lipoprotéines à l’origine de xanthomes…) ou de mécanisme plus incertain (œdèmes angio-neurotiques acquis avec IgM monoclonale). De plus, certaines situations s’associent de façon quasi constante à la présence d’une Ig monoclonale, sans que l’éventuel lien entre l’anomalie immunochimique et la physiopathologie des symptômes soit connu. Il s’agit, par exemple d’affections dermatologiques comme la mucinose papuleuse, du syndrome de fuite capillaire marqué par la survenue inopinée de chocs hypovolémiques avec hémoconcentration liés à l’extravasation brutale des protéines plasmatiques, ou du syndrome de Schnitzler associant IgM monoclonale et vascularite urticarienne.

 

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